Au Burkina Faso, la gestion des terres est sous le contrôle des hommes en milieu rural, celui-ci étant toujours dominé par le régime coutumier. Les femmes sont servies en dernier et n’ont pas la garantie de pouvoir exploiter leur lopin de terre dans la durée, une réalité contre laquelle lutte le groupe Emmaüs Pag-la-Yiri. 

La Constitution du Burkina Faso garantit le droit de propriété à tous, et notamment aux femmes, auxquelles la réforme agraire et foncière accorde l’accès à la terre à égalité avec les hommes. Mais ce droit encore récent peine à s’imposer face aux règles coutumières en milieu rural, qui favorisent systématiquement les hommes. Dans la pratique, les femmes sont exclues du contrôle du foncier et de sa gestion : il s’agit d’empêcher que des terres familiales passent aux mains d’un autre lignage à l’occasion du mariage d’une femme, car selon la tradition, elle rejoint alors le clan de son mari avec ses biens. La coutume ne leur accorde pas de droit de propriété, mais seulement une « autorisation » d’utilisation de la terre pour le maraîchage, une activité qui leur est traditionnellement dévolue. Il s’agit souvent de parcelles annexes, en bordure des meilleurs champs que les hommes se sont réservés pour les céréales, une priorité qu’ils justifient par la responsabilité de fournir la base de l’alimentation familiale.  

La femme rurale ne bénéficie donc que de droits fonciers temporaires, susceptibles d’être révoqués à tout moment, par exemple lors d’une transmission qui accorderait la priorité de l’usage d’un lopin de terre à des héritiers de sexe masculin. Afin de combattre cette précarisation et d’empêcher une incessante réactivation des conflits autour de la terre, l’association Pag-la-Yiri incite les femmes à recourir aux dispositions du droit national pour sécuriser leur situation foncière. 

L’association, qui travaille à la défense et à la promotion des droits des femmes dans la région rurale de Zabré, a notamment concentré ses efforts auprès des neufs groupements coopératifs féminins qu’elle accompagne dans l’exploitation collective de périmètres aménagés (défrichage, irrigation, etc.). C’est une priorité, du fait de l’importance sociale et économique de ces groupements qui emploient de nombreuses femmes, et ce d’autant plus que l’agriculture écologique promue par Pag-la-Yiri a nécessité un important travail de mise en valeur (apport d’humus, couverture du sol, plantations d’arbres, forages, clôtures, etc.). Pour ces femmes, l’expulsion de ces parcelles représenterait un préjudice certain, auquel s’ajouterait la perte sèche de ces investissements spécifiques. 

En pratique, la première démarche consiste à faire reconnaître officiellement, par le chef du village, la réalité de l’exploitation d’une parcelle par les bénéficiaires. Les femmes peuvent alors l’enregistrer sous leur nom auprès de la mairie, ce qui permet la délivrance d’un titre de propriété en bonne et due forme par l’administration cadastrale. Concrètement, Pag-la-Yiri s’est adressée directement à cette dernière pour accélérer la sécurisation juridique des parcelles des neuf groupements féminins. Car les municipalités sont souvent peu équipées pour agir rapidement et efficacement. Qui plus est, elles sont au cœur d’enjeux de pouvoir sociétaux qui compliquent leur tâche : l’officialisation, au profit des femmes, d’un droit d’utilisation de la terre allant jusqu’à la délivrance d’un titre de propriété constitue en effet une contestation frontale du régime coutumier patriarcal. 

À l’échelle des foyers, l’association intervient auprès des femmes, via la radio communautaire qu’elle a créée ou par le biais d’événements spécifiques, afin de les informer de leurs droits fonciers. Elle développe également des actions de plaidoyer auprès des autorités coutumières, afin de les convaincre de la nécessité d’accorder aux femmes des parcelles à exploiter, en soulignant que leur travail bénéficie aux familles, mais aussi à la communauté : apport nutritionnel des légumes et oléagineux, avec la consommation d’une partie de la production dans la cuisine domestique ; revenus issus de la vente du surplus, qui facilitent notamment la scolarisation des filles ; amélioration de la fertilité des terres, une quasi-obligation sur les lopins qui leur sont concédés ; enfin, d’une manière générale, protection des ressources naturelles, dont la dégradation impose aux femmes des trajets de plus en plus longs pour l’approvisionnement en bois et en eau, une de leurs tâches traditionnelles. Un travail d’éducation de longue haleine, mais dont les arguments commencent à être entendus, affirme Pag-la-Yiri.