Trois exigences pour sortir de la pauvreté

Ensemble, il est possible de vaincre la pauvreté et les inégalités, mais cela suppose de respecter trois exigences qui sont complémentaires et doivent, de ce fait, être déployées simultanément : 

  • Impliquer les personnes vulnérables pour qu’elles aient une place à part entière dans la société ;
  • Placer l’intérêt général au cœur des politiques publiques ;
  • Construire une économie qui soit réellement au service de l’être humain et de son environnement. 

Impliquer les personnes vulnérables pour qu’elles aient une place à part entière dans la société

Certaines catégories de population sont plus exposées au risque de pauvreté. C’est notamment le cas des femmes (en raison des inégalités de genre), des personnes malades ou en situation de handicap, des minorités ethniques, des personnes exilées, etc. D’une façon générale, les êtres humains les plus vulnérables sont souvent « invisibilisés », culpabilisés, relégués et parfois criminalisés. Mais où a-t-on vu que la discrimination et la stigmatisation réduisaient la pauvreté et les inégalités ? Le monde est-il plus juste si l’on rejette les plus faibles ou si l’on fait semblant de ne pas les voir ? Évidemment non ! Au contraire, notre premier devoir d’humanité est d’accueillir dignement les personnes les plus démunies et de leur offrir les moyens éducatifs qui leur permettront de retrouver l’estime d’elles-mêmes, de faire leurs propres choix et de s’insérer dans la société.

Dès le départ, sous l’impulsion de l’abbé Pierre, le Mouvement Emmaüs s’est construit en accompagnant, en impliquant et en intégrant les personnes accueillies. Les premiers compagnons ont été des bâtisseurs, pour se mettre eux-mêmes à l’abri, ainsi que d’autres personnes sans logement ; puis ils sont devenus chiffonniers pour générer eux-mêmes les moyens de poursuivre leurs actions de solidarité. Dans sa gouvernance et sa gestion, le Mouvement a su créer des espaces de formation, de débat, de décision à toutes les échelles (groupe, région, nation, international). C’est cette implication qui permet aux êtres humains les plus vulnérables et les plus exclus de se reconstruire et de redonner un sens à leur vie en devenant des acteurs solidaires.

Pour impliquer les personnes vulnérables, nous devons repenser les politiques publiques, mais aussi nos comportements de citoyen·ne·s.

Placer l’intérêt général au cœur des politiques publiques

Par idéologie, par clientélisme ou sous l’influence des groupes de pression, les institutions publiques mènent des politiques ne servant pas toujours l’intérêt général qu’elles sont censées garantir. Mais faut-il céder aux plus puissants sous l’effet de la collusion, de la corruption ou de manœuvres opaques ? La décision politique peut-elle se passer d’un débat contradictoire respectueux, argumenté, équilibré, transparent ? Évidemment non ! Placer l’intérêt général au cœur des politiques publiques est un impératif démocratique, car pour reprendre la formule d’Abraham Lincoln, « la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ix ». C’est par la délibération publique que l’on peut remettre l’économie et la gestion des affaires publiques au service des personnes et de la protection de leurs droits fondamentaux, en particulier par une gestion collective des biens communs.

L’intérêt général est non seulement l’affaire de toutes et tous, mais il concerne tout le monde. « La démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité x », écrivait Albert Camus. Les politiques publiques et le droit doivent donc prendre en compte l’intérêt des plus vulnérables, car ce sont justement eux qui ont besoin de protection. Il ne s’agit pas d’assistanat, mais de solidarité, d’égalité des chances et d’accès aux droits fondamentaux sans discrimination. Construire l’intérêt général exige donc la représentation des plus vulnérables et leur participation à la vie démocratique. Cela commence par la protection et la reconnaissance des droits de la moitié de l’humanité : les femmes.

Pour placer l’intérêt général au cœur des politiques publiques, nous devons repenser la participation démocratique et l’élaboration des règles socio-économiques.

Construire une économie qui soit réellement au service de l’être humain et de son environnement

Depuis les années 1980, le néolibéralisme promeut une vision de l’économie qui fixe ses propres règles. Le nombre de sociétés multinationales a été multiplié par dix et plusieurs d’entre elles ont acquis un pouvoir supérieur à celui de certains États. La dérégulation permet aux capitaux et aux marchandises de circuler librement, mais aussi de mettre en concurrence les pays en matière de droit social, environnemental et fiscal. Les travailleur·euse·s et la nature deviennent alors une simple « variable d’ajustement » dans la recherche d’une croissance et d’une profitabilité perpétuelles. Il en résulte des délocalisations, du chômage, des contrats précaires, du temps partiel subi, des travailleur·euse·s pauvres, une exploitation des enfants, du travail forcé, une absence de protection sociale, un pillage des ressources naturelles, de la pollution, de l’évasion et de la fraude fiscale, de la corruption, de l’impunité, une répartition inégale des richesses produites, etc.

Les droits fondamentaux auraient-ils moins de valeur que la finance et le commerce ? La pauvreté est-elle un simple dommage collatéral ? Doit-on laisser la recherche des profits détruire la planète et bafouer la justice sociale ? Évidemment non ! Notre premier devoir économique est d’assurer un « bien-vivre » durable à chacun·e. Les traités commerciaux internationaux et les politiques publiques peuvent refaire ce qu’ils ont défait : nous pouvons reconstruire une économie plurielle, et pas uniquement marchande, qui soit compatible avec les principes de justice sociale et de durabilité. Nous en avons déjà les capacités techniques : il nous faut désormais la volonté politique de garantir une vie digne à toutes et tous, sans épuiser les écosystèmes de la planète. Il est possible, et beaucoup le font déjà, de préférer la valeur au prix, l’être à l’avoir, le partage équitable à la propriété exclusive.

Le choc créé par la pandémie de Covid-19 est l’occasion de retrouver un équilibre économique : les fonds publics doivent financer une croissance choisie qui repose sur une production durable, sur une consommation responsable, sur une économie marchande au service de l’intérêt collectif, sur une économie éthique et solidaire qui veille et innove en faveur des droits.

Pour construire une économie qui soit réellement au service de l’être humain et de son environnement, nous devons transformer et diversifier notre modèle économique.